« On voulait rester en France, montrer la beauté de ces terres et partir à la rencontre d’autres personnes passionnées de la mer, des « Seafarers » comme moi. »
Le
Film_
Date
Avril 2024
Un film de
Anthony Lietart
Photographe
Matt Georges
Story
THE END OF THE WORLD
C’est la première fois que je pars en trip seul. Cette fois-ci, avec MANERA, nous avions envie de faire quelque chose de différent. On voulait rester en France, montrer la beauté de ces terres et partir à la rencontre d’autres personnes passionnées de la mer, des « Seafarers » comme moi.
En plus, je serais seul, du jamais-vu sur un trip MANERA. Mais, quand on m’a expliqué que j’allais partir à la rencontrer d’anciens gardiens de phares, de leurs descendants, et que j’allais découvrir ces sentinelles historiques, j’ai tout de suite accepté.
Après tout, nous sommes un peu pareils. Des hommes de la mer, des marins, il y en a beaucoup. Moi aussi j’en suis un, à ma manière. Je suis passionné du vent et de la glisse, mais aussi des histoires et de tout ce qui nous lie à la mer.
J’appréhende néanmoins cette solitude qui m’attends pour les 10 prochains jours, même si c’est toujours génial de partir à l’aventure vers l’inconnu. Se sentir seul au monde, c’est quelque chose d’unique et de particulier.
Lire l'histoire
« C’est vrai qu’en se tenant là, à la merci des éléments en regardant loin au large, on se sent vraiment seul et au bout du monde. L’océan est vivant. »
Musiques
-
AMEN DUNES
- Song to the Siren - -
YEHEZKEL RAZ
- Shallow Water - -
IAN HUGHES
- In Loco - -
SKEETER DAVIS
- The End of the World -
« Dans le monde des gardiens de phare, il se dit que certains d'entre eux pouvaient connaître le paradis, le purgatoire et l'enfer. Tout cela sans être jamais décédés. »
" Dans chaque phare, il y a des hommes et des histoires. "
“ Finalement peut-être que j’avais besoin de ces moments de solitude, de calme et d’introspection. Je devais me retrouver face à la mer, mais aussi face à moi-même. ”
Svalbard
The End of the World : L'Histoire
Le départ
C’est la première fois que je pars en trip seul. Cette fois-ci, avec MANERA, nous avions envie de faire quelque chose de différent. On voulait rester en France, montrer la beauté de ces terres et partir à la rencontre d’autres personnes passionnées de la mer, des « Seafarers » comme moi.
En plus, je serais seul, du jamais-vu sur un trip MANERA. Mais, quand on m’a expliqué que j’allais partir à la rencontrer d’anciens gardiens de phares, de leurs descendants, et que j’allais découvrir ces sentinelles historiques, j’ai tout de suite accepté.
Après tout, nous sommes un peu pareils. Des hommes de la mer, des marins, il y en a beaucoup. Moi aussi j’en suis un, à ma manière. Je suis passionné du vent et de la glisse, mais aussi des histoires et de tout ce qui nous lie à la mer.
J’appréhende néanmoins cette solitude qui m’attends pour les 10 prochains jours, même si c’est toujours génial de partir à l’aventure vers l’inconnu. Se sentir seul au monde, c’est quelque chose d’unique et de particulier.
Alors, je quitte le sud de la France début avril, direction le bout du monde : le Finistère. Le printemps commence à peine à pointer le bout de son nez ici, mais je m’attends à des conditions plus rudes une fois arrivé.
Le Phare de la Coubre
J’ai néanmoins prévu quelques arrêts en route. D’ailleurs, c’est le phare de la Coubre qui m’attends en premier.
Haut de 64 mètres en surplomb de la baie de Bonne Anse, ce phare éclaire et sécurise l'accès à l'estuaire de la Gironde. Je rencontre Damien Joussemet, responsable de ce phare depuis 2016.
Le hasard l’a guidé ici, au pied de ce phare qui était un peu méconnu et délaissé des locaux car ils savent tous qu’il finira par disparaitre. Damien, lui, a eu le coup de cœur. Ici, la côte sauvage évolue beaucoup. Il m’explique qu’en 125 ans, 3 kilomètres de cote ont déjà disparu. D’ailleurs, on voit les ruines de l’ancien phare et du sémaphore un peu plus loin.
Damien a voulu donner une deuxième vie à ce phare depuis qu’il l’a découvert. Il est très attaché à ce lieu, qu’il qualifie de « pépite qui mérite d’être connue. » Il gère tout le site et veut valoriser l’image du phare avant que la mer ne l’avale à son tour. Il espère avoir encore plusieurs dizaines d’années devant lui.
Bien sûr, ce phare est toujours aussi important qu’au jour de sa création pour guider les navires. Après avoir monté les 300 marches jusqu’à la lanterne, je contemple le paysage qui s’étend à mes pieds et suis un peu abasourdi par son immensité.
Damien me partage une de ses anecdotes préférées. Il m’indique le banc de la Mauvaise, un peu plus loin au large. Ce banc a eu raison de beaucoup de bateaux par le passé, dont certains qui ont perdu des cargaisons. Un bateau avait même perdu sa cargaison de rhum, donc tous les habitants du coin s’étaient précipités sur la plage pour cacher les tonneaux et venir les récupérer quelques jours après.
De mon côté, j’ai essayé d’apprivoiser les conditions autour du phare, mais c’est compliqué. Les courants sont forts et le vent irrégulier. En fait, les phares sont peut-être le pire endroit au monde pour faire du kite.
J’essaye de profiter du mieux que je peux car je suis tout seul sur l’eau, et ça, c’est plutôt rare. Je navigue avec un superbe coucher de soleil et le phare de la Coubre en fond. Le vent est side, les vagues sont belles, le temps est presque beau. Cela ne peut qu’être de bonne augure pour la suite.
Le Phare des Baleines
Le lendemain, deux heures de route vers le nord m’attendent pour arriver jusqu’au phare des Baleines, à la pointe ouest de l’ile de Ré, où j’ai rendez-vous avec Marc Rayneau.
Dès mon arrivée, Marc est taquin, plein d’humour et de surprises. Il a 80 ans et a veillé sur le phare pendant 19 ans, jusqu’à son automatisation en 2001 qu’il semble regretter.
On commence à peine à discuter que Marc m’avoue qu’il a toujours eu une femme et une maîtresse. Je ne sais pas trop quoi répondre tellement je suis pris de court. Marc continue, avec un petit sourire, en expliquant que sa maitresse, c’est la mer. Bien sûr !
« On m’a posé la question il y a quelques jours, ‘Vous aimez les phares ?’ Oui, mais je préfère ma femme quand même. »
Je l’apprécie déjà, ce Marc.
Le phare des Baleines fut allumé pour la première fois en 1682. L'actuel, haut de 60 m, date de 1854. Il doit son nom aux baleines qui s’échouaient régulièrement autrefois à cet endroit.
Marc a toute sa famille sur l’île. Ses parents étaient commerçants et il en a tout simplement eu marre du monde. Ses deux beaux-frères étaient gardiens de phare et lui ont donc suggéré de faire de même. Sa vie a changé tout simplement, comme ça. Direction l’école des gardiens.
Il m’avoue qu’il n’a jamais su nager, mais bien sûr, il n’allait pas le dire à sa hiérarchie. Si je comprends bien, beaucoup de gardiens ne savaient pas nager de toute façon.
C’est un homme cocasse, avec beaucoup de répondant, mais qui cache aussi cette vie dure de gardien de phare. Il a d’abord travaillé dans beaucoup de phares avant de pouvoir rentrer chez lui à l’île de Ré.
Marc en dit beaucoup sans trop en dire, gardant le mystère jusqu’au bout sur des sujets épineux. Il révèle que des gardiens ont été porté disparu, mais on ne savait jamais s’ils étaient tombés à l’eau par accident, ou si c’était le collègue qui les avait poussés. De toute façon, lui n’a rien vu, mais ce sont les bruits qui couraient…
Être gardien de phare, on aimait ou on n’aimait pas. Marc avoue n’avoir jamais été malheureux, et n’avoir aucun regret. Il est très fier de son métier et il referait « tout pareil ». De toute façon, les phares le travaillent toujours. Il admet que, dès qu’il remonte ici, en haut du phare des Baleines, il a toujours du mal à retrouver le sommeil dans les jours qui suivent. Il pense au phare tout le temps.
« Le docteur m’a même dit d’arrêter de regarder les phares parce que j’allais devenir aveugle à force ! »
Je ne suis pas arrivé à naviguer autour de ce phare. Les conditions m’impressionnent trop, surtout de voir ces courants d’arrachement d’ici. Je ne veux pas m’y risquer.
Mais il y a un autre phare de l’autre côté de l’ile, le phare de Chauveau qui m’a attiré. Les conditions y sont plus clémentes et grâce à la marée haute d’aujourd’hui, j’ai pu passer quelques heures à l’eau et profiter du calme de cet endroit hors du temps.
Le Phare du Millier
Néanmoins, le Finistère m’appelle et il me reste encore plusieurs centaines de kilomètres avant d’atteindre ma prochaine destination.
Le soleil me manque, le ciel est sombre. Ce mauvais temps me pèse et me pompe toute mon énergie. Ça m’intimide presque. Je dois l’admettre, je ne me sens pas à l’aise.
Heureusement, je suis tirée de mes rêveries et de mes pensées moroses grâce à ma rencontre avec Yann Quilfen, près de la baie de Douarnenez. Son QG.
Yann, c’est le pro du downwind et il souhaite me faire découvrir son home spot à travers cette discipline que je ne maitrise pas encore tout à fait. On a évité l’orage. L’accès à l’eau est parfait au milieu de cette accalmie et des quelques rayons de soleil qui percent difficilement la grisaille.
Je suis un kitesurfeur dans l’âme, mais j’ai découvert le downwind récemment et j’y prends de plus en plus goût. Cette sensation de liberté, de naviguer au-dessus des flots, porté seulement par son foil et la force de la houle, est incomparable.
Après ce run, il est déjà l’heure de me rendre au phare du Millier. Ce phare éclaire la baie de Douarnenez, là où nous étions justement. J’y rencontre deux sœurs, Jeanne-Marie et Nicole Malgorn, qui ont grandi ici. Jeanne-Marie est même née au phare.
Cette maison-phare, située sur la commune de Beuzec-Cap-Sizun, surplombe la mer avec sa lanterne perchée à 34 m. Bernard Malgorn, le père de Nicole et Jeanne-Marie, l'a gardé de 1945 à 1968.
Plutôt loquace, Jeanne-Marie adore partager l’histoire de leur famille et de leur père. Sa sœur ainée, Nicole, n’avait que 3 ans quand Jeanne-Marie a pointé le bout de son nez une nuit de février en 1946. A l’époque, il n’y avait pas encore le téléphone à la maison et il a donc fallu que leur père parcourt plusieurs kilomètres à vélo pour se rendre jusqu’au téléphone le plus proche afin d’appeler le docteur.
Jeanne-Marie dévoile, en rigolant, que le téléphone a finalement été installé au phare l’après-midi même de sa naissance. A quelques heures près, son père aurait pu éviter ce trajet à vélo. C’était vraiment un autre temps, quand on y pense.
De son côté, Nicole me semble plus discrète. Peut-être est-elle émue et nostalgique de revenir dans sa maison d’enfance. Elle se remémore son enfance passée ici, très heureuse et proche de la nature.
Leurs parents arrivaient de l’ile d’Ouessant, mais leur père avait déjà travaillé dans plusieurs phares en mer, des « enfers ».
Dans le monde des gardiens de phare, il se dit que certains d'entre eux pouvaient connaître le paradis, le purgatoire et l'enfer. Tout cela sans être jamais décédés.
Dans le jargon, les phares se classent en trois catégories en fonction de la dureté des conditions de vie. Les phares en mer sont en « enfer », ceux à terre sont au « paradis » et ceux des îles sont au « purgatoire ».
Cette classification correspondait également à une progression de carrière, qui commençait souvent dans un enfer pour terminer dans un paradis.
Avant que Jeanne-Marie n’arrive, Bernard avait déjà passé plus de 15 ans dans des phares en mer. Il avait donc demandé à être transféré dans un phare à terre pour passer plus de temps avec sa famille. On lui a alors proposé le phare du Millier, un phare qui n’avait ni électricité, ni route pour y accéder, ni « rien de bien pratique » comme explique Jeanne-Marie. Néanmoins, il a accepté. Après tout, ça restait un paradis.
Enfants, les deux sœurs étaient émerveillées par l’immensité et la beauté de la nature qui les entourait, par les oiseaux qui s’envolaient, la mer, les embruns, le vent, et les beaux couchers de soleil. Elles avaient la mer à 360° et pouvaient monter en haut du phare. D’ailleurs, elles m’y amènent, c’est vrai que c’est magnifique.
Les deux sœurs ont toujours été complices et ont un lien très fort avec la mer. Elles ont appris à nager alors qu’elles commençaient à peine à marcher. Elles se souviennent de courir sur les rochers en contrebas, de pêcher avec leur père tous les matins. C’était une vie vraiment très belle, qu’elles n’ont jamais regretté non plus.
Nicole et Jeanne-Marie m’ont beaucoup touché. Comme quoi, il suffit de peu pour vivre une vie pleine de joie et de bonheur, et la nature y fait beaucoup.
La Baie des Trépassés
Le lendemain, je me dirige vers la Baie des Trépassés, à une vingtaine de minute à l’ouest. Rien que le nom me fait froid dans le dos. J’y retrouve Ian Fontaine, un pur surfeur Breton qui est très fier de sa région. La solitude sur ce trip me recentre, mais je dois avouer que la bonne humeur et l’humour de Ian me redonnent l’énergie.
Nous ne sommes pas loin du dangereux Raz de Sein, surnommé un temps « le cimetière » en breton car il était une nécropole de navires avant l’arrivée des phares.
Le raz de Sein, situé donc entre l'île de Sein et la pointe du Raz, est un passage maritime large d'environ 8 km. C'est une zone de navigation très dangereuse en raison de ses courants de marée extrêmement violents et de ses brisants. En vives eaux, le courant lève une mer démontée dès qu'il s'oppose au vent même modéré.
Nous sommes assis sur des rochers qui surplombent la baie pendant qu’Ian m’explique que, jusqu'au 18e siècle, les habitants des alentours vivaient du pillage des épaves issues des nombreux naufrages. Du coup, le peuple de la baie était connu comme des pilleurs d’épaves, un peu comme des pirates bretons.
Les vagues qui déferlent en contrebas sont incroyables. Je ne pensais pas trouver un spot de surf comme celui-ci par ici. Impossible de résister, j’enfile ma combi et je prends la planche qu’Ian me prête pour l’occasion pour vite le rejoindre à l’eau. Malo Jouanneau, un grom du coin qu’Ian a pris sous son aile, nous a rejoints et découpe déjà les vagues.
Dans mes sports, je ne suis habituellement jamais seul bien longtemps. Je dois avouer que ça fait du bien de croiser d’autres athlètes. On surfe jusqu’à la nuit tombée. Finalement, j’apprivoise cette baie du mieux que je peux. Au large, on distingue les lumières de l’île de Sein.
« Qui voit Sein, voit sa fin, » comme disent les marins par ici. Je n’irai pas jusque là-bas, les conditions de navigation sont trop difficiles ces prochains jours. Ni jusqu’à l’enfer des enfers, Ar-Men, un phare qui me fascine de plus en plus.
Le Phare de la Vieille et le Raz de Sein
Ce matin, j’ai voulu tenter une session Big Air, mais c’était sûrement la sessions la plus courte de l’histoire : 15 minutes, gréage compris, avant que la gendarmerie ne me demande de sortir de l’eau.
En effet, le Finistère a été placé, depuis ce lundi 8 avril, en vigilance orange vagues submersion et vents violents avec l’arrivée de la dépression nommée Pierrick. De toute façon, entre ça et toutes ces histoires autour du raz de Sein, je ne vais sûrement pas me mettre à l’eau !
Alors je pars à la rencontre de Jean-Yves Le Brun, un Breton pur beurre. D’ailleurs, il se présente en parlant breton. Son père veillait le Phare de la Vieille pendant 19 ans, un phare qui sécurise donc ce redoutable passage du raz de Sein. A l’époque, son père passait 20 jours au phare et 10 jours à terre.
Malgré la dangerosité de cette zone, ce raz reste la route la plus courte et la plus sûre pour les navires circulants entre la côte Atlantique et la Manche. Plus à l’ouest, les hauts-fonds, l’île de Sein et les écueils de la terrible chaussée de Sein bloquent les voies sur des dizaines de kilomètres. Les conditions de navigation y sont encore plus périlleuses.
Rapidement, Jean-Yves m’explique la signification du nom Finistère. Le département du Finistère doit son nom à sa position géographique, comme placé au bout du monde. Il tire son nom du latin Finis Terrae (« fin de la Terre, là où se finit la Terre »). En breton, on nomme ce département Penn-ar-Bed, Penn qui signifie « tête », ou « début » et Bed « le monde ».
Ce phare de la Vieille a bercé l’enfance et l’adolescence de Jean-Yves. Je ressens beaucoup de fierté dans ses paroles alors qu’il me décrit le quotidien de son père dans ce métier si particulier, qui au final était une vocation.
Le métier de gardien de phare est un beau métier. Il fallait entretenir cette lumière, indispensable aux marins en mer pour leur protection et survie. Au cœur de la nuit noire, ces éclats de lumière sont une présence rassurante.
Jean-Yves prends le temps de me lire quelques passages des mémoires de son père. C’est très touchant, je pourrais rester là à l’écouter toute la journée.
Son père est né près du phare du Millier, où il aidait souvent les gardiens de phare lors de tâches quotidiennes. Il avait toujours été attiré par ce monde-là. Mais est d’abord venue la seconde guerre mondiale et donc le service militaire. Son père a même connu les stalags de l’Allemagne nazi comme prisonnier de guerre. Puis, il est finalement rentré chez lui en mai 1945, avant de pouvoir enfin être gardien de phare, notamment à Ar-Men.
A la suite du transfert de son père à la Vieille, Jean-Yves a donc grandi au rythme de ce phare. A l’époque, il n’y avait pas de lien entre le phare et la maison familiale, située à plus de 20 km, hormis, pour une radio maritime. Et puis, elle servait avant tout aux gardiens pour donner des nouvelles aux Phares et Balises à Brest.
Néanmoins, son père, comme beaucoup d’autres, se permettait quand même, bien que ce fût interdit, d’utiliser la radio afin de donner des nouvelles. La famille possédait un poste radio sur batterie, car il n’y avait pas l’électricité à l’époque.
Alors, ils se réunissaient tous autour de ce poste radio à une heure bien précise, et son papa au phare donnait des nouvelles rassurantes. Il ne leur parlait jamais des tempêtes, des dégâts, ou autres problèmes afin de ne jamais les inquiéter.
« Toute la famille réunie autour du poste récepteur dans l’unique pièce à vivre de la maison écoutait religieusement cette voix venue d’ailleurs sans jamais pouvoir y répondre. »
Je m’imagine cette époque, si particulière, alors que Jean-Yves se remémore des brefs moments de vie.
Il me raconte qu’Henri Le Gall, le pilote de la fameuse vedette de relève la Velleda, invitait souvent sa mère et lui à bord quand la météo le permettait afin de faire coucou à son père pendant qu’il était au phare.
Jean-Yves m’amène marcher le long des falaises jusqu’à la pointe du Raz, où nous voyons le phare de la Vieille. Si proche, mais si loin. On pourrait presque le toucher, mais ce phare reste un enfer. Un enfer « peut-être un peu plus clément » mais tout de même hostile.
Petit, il venait jusqu’ici pour assister à la relève avec sa mère. Elle allumait les feux de la voiture et son père, qui voyait ça au loin, mettait un petit fanion au bout d’une perche pour signifier qu’il était au phare et que tout allait bien.
C’est vrai qu’en se tenant là, à la merci des éléments en regardant loin au large, on se sent vraiment seul et au bout du monde. L’océan est vivant. C’est ce qui fait toute la beauté de cette région. Les journées sont rythmées par ses caprices ou ses accalmies.
La mer est déchainée, le courant impressionnant. Jamais je ne mettrais les pieds dans l’eau ici. Au loin, j’aperçois Ar-Men dans un faisceau de lumière. J’aurais aimé aller voir ce phare mythique de plus près, mais je sais déjà que je reviendrais par ici.
Ce phare d’Ar-Men est surnommé « l’Enfer des enfers » en raison de son caractère très isolé, de la météo souvent extrême, les coups de boutoir portés par la grande houle faisaient parfois trembler tout l’édifice, ainsi que du danger et de la difficulté à relever les gardiens. Sa construction, entamée en 1867 sur le minuscule rocher du même nom à l’extrémité de la chaussée de Sein, dura 14 ans, avec seulement 8 heures de travail effectif la première année.
Je n’ose pas imaginer les conditions de vie là-bas, coincé au milieu des tempêtes comme celle qui arrive. Tout devait être tellement intense, sans compter le bruit, le froid, l’humidité, l’isolation et la distance du continent si jamais un problème survenait.
Ce paysage me laisse ébahi, sidéré par la puissance des éléments mais aussi la force de charactère de ces hommes et femmes qui ont choisi cette vie. Il fallait quand même avoir un sacré caractère et un moral d'acier. Ça n’était pas donné à n'importe qui.
Toutes ces histoires me marquent. J’ai toujours détesté l’histoire à l’école, mais de l’apprendre de cette manière et de participer à ce devoir de mémoire, c’est vraiment une chance inouïe.
Le Phare du Petit Minou
La tempête Pierrick est passée cette nuit. Il est temps pour moi de reprendre la route vers le nord. J’ai à nouveau rendez-vous avec Ian, cette fois au phare du Petit Minou, à l’ouest de Brest.
La Bretagne, c’est vraiment quatre saisons en une journée. J’entame la route sous le soleil, mais le temps que j’arrive à ma destination, il pleut à nouveau. Cette météo hyper changeante n’est pas facile à gérer. J’avais été prévenu !
Ian m’explique pourquoi ce phare s’appelle ainsi. A l’époque, les marins prenaient un chat sur leur bateau pour chasser les souris. Avant d’arriver à Brest, ils les balançaient par-dessus bord, puisque peupler la ville de Brest de chats était impensable. Du coup, la baie, le phare et la plage alentour ont tous hérités de « minous » ou « petit minous » dans leurs noms.
Il est temps de se mettre à l’eau ! Ça commençait un peu à me manquer, après ces quelques jours passés à terre. Ian part surfer et moi j’opte pour du wing foil. Ce spot est incroyable, bien que, comme les autres, complexe à apprivoiser.
Rider autour des phares est beaucoup plus difficile que je n’aurais pensé. Nous sommes vraiment dans des endroits dangereux, avec des courants très forts et des cailloux cachés selon les marées. Malgré tout, ça reste une expérience incroyable et inoubliable.
J’aurais aimé rester ici plus longtemps, mais je dois continuer ma route jusqu’à la Baie des Anges, afin de prendre ensuite un bateau pour me rendre à ma prochaine destination. Ce trip touche presque à sa fin. Je dois admettre que j’ai hâte de retrouver mes proches ; la solitude me pèse un peu malgré toutes ces rencontres.
Le Phare de l’Ile Vierge
Mon périple au Finistère va donc se conclure ici, au phare de l’Ile Vierge, un purgatoire. Culminant à 82,5 m, ce phare est le plus haut d’Europe et le plus haut phare en pierre de taille du monde. Entre 1845 et 2010, plus de 75 gardiens ont veillé sur cette île de 6 hectares. Ils vivaient en autarcie, avec à leur disposition poissons, cultures, moutons et potager.
Jean-Yves Le Bars a connu la vie sur cette île, mais il a vraisemblablement tout connu dans la région. Il dépannait sur les phares et me dit qu’il a fait tous les phares en mer. Même l’enfer des enfers.
En théorie, nous n’avons que quelques heures avec lui, mais je sens déjà que ça va sûrement prendre plus longtemps que prévu. Jean-Yves adore parler et se remémorer cette période de sa vie qui lui est très chère.
Il me parait presque imperturbable, décontracté, alors qu’il me raconte des histoires d’hélitreuillage, d’évacuations, ou de paquets de mer qui dégradent l’intérieur du phare pendant des tempêtes.
« Les phares en mer, on ne savait jamais quand est-ce qu’on montait, ni quand est-ce qu’on descendait. Et puis, tu te dis, le phare il en a vu d’autre, il en verra d’autre. Il bougeait un peu parfois, mais on s’y habituait, et puis il ne faut pas trop gamberger. »
Il passe d’une anecdote à l’autre tellement rapidement que j’en perds presque le fil. Derrière ce grand gaillard se cache un homme qui endurci, qui a sûrement vécu l’enfer : « Les phares en mer isolés, ça déforme le caractère et l’esprit. »
Mais lui aussi, comme Marc, a quand même été triste lorsque l’automatisation est arrivée. Bien sûr, il n’était pas contre, surtout pour ces phares où les conditions de vie étaient rudes. Mais je le sens quand même nostalgique de cette époque révolue. Triste aussi peut-être de savoir que certains de ces phares sont désormais livrés à eux-mêmes, et où personne ne pénètre plus à l’intérieur.
Pendant qu’on discute, Jean-Yves me prépare un Far Breton, une recette phare de la cuisine Bretonne. C’est un bon vivant, qui m’explique que la nourriture était vraiment un aspect important de la vie dans les phares.
Mais voilà qu’il me dit qu’il me cuisine un Far Breton dans le four du phare, mais comme il le faisait dans le four Far au phare du Four dans le chenal du Four qui est juste à côté. Ça y est, là, je suis vraiment perdu !
Peu importe, le Far est délicieux. C’est ce qui compte, non ? Comme il le dit, le bonheur est vraiment dans la gamelle.
Il est l’heure pour Jean-Yves de rentrer chez lui. Moi, je passe la nuit sur l’île, mais j’arrive à faire une petite session kite foil avant que le soleil ne se couche complètement. Ce phare est encore plus impressionnant vu de la mer, se dressant si haut au milieu de cette grisaille et brume omniprésente.
Cette nuit passée ici m’a donné un petit aperçu de ce que pouvait être la vie de gardien, bien que je profite de conditions beaucoup plus modernes. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à tout ce bruit. J’ai du mal à trouver le sommeil avec tous ces sifflements qui s’engouffrent dans le phare. J’admire encore plus ces gardiens qui devaient supporter ça pendant plusieurs semaines d’affilée sans aucun répit.
Le Phare de l’Espiguette
Malheureusement, je dois déjà quitter le Finistère et ces magnifiques côtes escarpées. Je termine mon périple à nouveau au bord de la Méditerranée, au Phare de l’Espiguette près du Grau-du-Roi.
Trônant au milieu des dunes, ce phare s'allume pour la première fois en 1869. Mais il fait face au problème inverse du phare de la Coubre. Initialement installé à 155 m de la mer, le phare de l’Espiguette est désormais à plus de 700 m du rivage à cause de l'engraissement côtier. Il est voué à finir au milieu des paysages dunaires, loin de la mer.
Florine Escot est responsable du phare de l’Espiguette et est très fière de rendre ce lieu vivant. Elle m’explique que c’est la troisième génération. Il y avait d’abord une tour à feu à côté d’Aigues-Mortes, qui petit à petit s’est éloignée de la mer. Le phare du Grau-du-Roi est ensuite sorti de terre avec le développement du port de pêche, mais il s’est avéré trop bas.
Donc, en 1869, le phare de l’Espiguette s’éclaire enfin pour signaler les bancs de sable. Mais, nous sommes non loin du delta du Rhône et donc sur une zone d’accrétion. La plage s’engraisse, donc le phare s’éloigne à son tour de plus en plus de la mer.
La dernière gardienne a quitté les lieux en 2005. Le phare était déjà automatisé, mais elle s’accrochait et n’avait pas envie d’en partir. D’ailleurs, elle revient régulièrement sur les lieux.
J’ai souvent navigué sur ce spot, mais aujourd’hui, les conditions ne sont pas au rendez-vous. Alors, je me promène au milieu de ces dunes et longe cette immense plage de sable qui ne fait que s’agrandir.
Le trip est terminé, le soleil du sud me réchauffe. Ma présence autour de ces sentinelles historiques était éphémère, mais j’en ressors différent. Finalement peut-être que j’avais besoin de ces moments de solitude, de calme et d’introspection. Je devais me retrouver face à la mer, mais aussi face à moi-même.
Dans chaque phare, il y a des hommes et des histoires.
J’ai appris énormément de choses ces derniers jours. J’ai rencontré des personnes incroyables qui m’ont fait vivre et comprendre ce qu’était la vie d’un gardien de phare. Ce qui est sûr, c’est que je n’aurai pas voulu être à leur place.
En tout cas, peu importe si c’est au paradis ou en enfer, la mer représente la liberté. Elle n’appartient à personne, ni à un marin, ni à un athlète, ni à un gardien. Pour nous les Seafarers, c’est tout simplement notre ligne de vie.