"Pour ces deux prochaines semaines, notre maison flottante répond au nom de Kamak. C’est un bateau de 25 mètres de long, tout droit venu de Paimpol en Bretagne."
Le
Film_
Date
Juin 2022
Réalisation
Olivier Sautet
Photographie
Matt Georges & Anthony Lietart
Histoire
79° NORD
Le jour J approche et l’excitation monte d’un cran. Deux ans que ce trip aurait dû avoir lieu, et il va enfin se réaliser. J’ai de plus en plus peur d’oublier quelque chose, et je me dresse des listes de matériel. J’ai déjà fait des trips dans le froid, mais des comme ça, jamais. À vrai dire, j’ai encore du mal à réaliser.
Un documentaire tourne en fond sur mon ordinateur pendant que je continue la préparation : base layer, chaussettes de ski, gants de ski ? Est-ce que je dois vraiment prendre des gants de ski ? Je les prends, au cas où, comme on dit. Chose que je me suis répété avec à peu près tous les accessoires que j’ai rajouté en plus de ma veste d’hiver et de mon pantalon de ski.
Où va-t-on exactement ? Au Svalbard, un archipel situé au nord de la Norvège entre le 74e et le 81e parallèle nord. Le cercle arctique est très proche au 66e parallèle nord. Les gens à qui j’en parle ne réalisent pas vraiment où c’est, et moi non plus je crois. Je ne me lance pas dans des explications compliquées quand ils me demandent, « Alors, Paul c’est où ton prochain voyage ? » Je réponds simplement, « Sur une île au nord de la Norvège ». Je les laisse s’imaginer ce qu’ils veulent.
Nous sommes conscients qu’un tel voyage impacte l’environnement.Afin de réduire notre empreinte, nous avons choisi de ne prendre l’avion qu’une fois tous les trois ans pour nos photoshoots.
Nos deux derniers trips étaient en France et en Galice.Nous avons compensé l’empreinte carbone de « 79° NORTH » à hauteur de 58t de CO2 sur Goldstandard.org.
Nous avons choisi un projet au Cambodge, c’est là que nos combinaisons sont assemblées.
"La première session se met en place doucement. J’enfile ma 6.4 avec cagoule et mes chaussons 5mm sans oublier ma paire de gants. Il est impossible de partir en kite du voilier en raison des haubans et de l’espace restreint."
Musiques
-
YEHEZKEL RAZ
- A Journeys Epilogue - -
HALF MOON RUN
- Warmest Regards - -
FLAVIEN BERGER
- 999999999 - -
YEHEZKEL RAZ
- Eleven Hours a Night by Odds -
"Le réseau téléphonique nous a quitté pour de bon. Bizarrement, nous nous retrouvons d’un coup tous plus proches les uns des autres."
"Olivier parle d’une baignade en short depuis le début du trip. C’est maintenant ou jamais : le vent est inexistant et il y a du soleil."
“Au Svalbard, il y a 2000 habitants pour 3000 ours blancs. Nous avons donc de fortes chances d’en croiser.”
Galice
79° NORTH : L'histoire
L'expédition
Le jour J approche et l’excitation monte d’un cran. Deux ans que ce trip aurait dû avoir lieu, et il va enfin se réaliser. J’ai de plus en plus peur d’oublier quelque chose, et je me dresse des listes de matériel. J’ai déjà fait des trips dans le froid, mais des comme ça, jamais. À vrai dire, j’ai encore du mal à réaliser...
Svalbard, un archipel situé au nord de la Norvège entre le 74e et le 81e parallèle nord. Le cercle arctique est très proche au 66e parallèle nord. Les gens à qui j’en parle ne réalisent pas vraiment où c’est, et moi non plus je crois. Je ne me lance pas dans des explications compliquées quand ils me demandent, « Alors, Paul c’est où ton prochain voyage ? » Je réponds simplement, « Sur une île au nord de la Norvège ». Je les laisse s’imaginer ce qu’ils veulent.
Du côté des riders, Mallory « Mallo » de la Villemarqué et Matt Maxwell sont là pour le kite strapless et les vagues, et Fernando « Mizo » Novaes pour du surf foil et de la wing. Concernant le team média, Olivier Sautet est notre vidéaste et Matt Georges notre photographe. En renfort, Anthony Lietart est là pour filmer les coulisses du trip. Bien sûr, Julien Salles, le boss de MANERA et sans qui rien de tout cela ne serait possible, chapeaute le trip. Et enfin il y a moi, Paul Serin, pour rider principalement en twin tip et en freestyle mais aussi en wing.
"Alors, Paul c’est où ton prochain voyage ? » Je réponds simplement, « Sur une île au nord de la Norvège ». Je les laisse s’imaginer ce qu’ils veulent."
Embarquement sur Kamak
Notre arrivée à Longyearbyen ne passe pas inaperçue. Les autres passagers de l’avion pensent que nous sommes un groupe de scientifiques avec tous nos gros sacs. Quand nous leur expliquons que nous sommes là pour faire du kite surf, leurs yeux s’écarquillent, traduisant un mélange d’étonnement et de compassion. Oui, nous allons faire du kitesurf dans un des endroits les plus extrêmes et les plus au nord au monde. Rien que d’écrire ces mots, j’en ai la chair de poule.
Pour ces deux prochaines semaines, notre maison flottante répond au nom de Kamak. C’est un bateau de 25 mètres de long, tout droit venu de Paimpol en Bretagne, et qui organise normalement des voyages orientés ski entre le Svalbard, le Groenland et la Norvège. Mais cette fois-ci, l’action se passera sur l’eau et non pas dans les montagnes.
Gaby, le capitaine, maitrise son bateau à la perfection. Nous comprenons également assez rapidement qu’il a un petit côté maniaque au niveau du rangement. Je n’ai pas de problème avec ça, mais avec 20 sacs de matériels, plus des caméras et tous les chargeurs, il se peut que ça dégénère assez vite. Il est secondé par Jean, un jeune marin breton habitué au froid et aux expéditions de ce type. Enfin, le dernier membre et non des moindres est Minh le cuisinier. Malgré sa timidité, il sera l’atout décisif de ce trip et responsable de la bonne humeur collective du groupe.
Hisser les voiles
Enfin les amarres sont levées et l’aventure commence. Nous nous dirigeons tout droit vers le nord. Nous nous regroupons tous à côté de l’écran du capitaine pour essayer de comprendre exactement notre route. Notre premier arrêt sera juste à la sortie du fjord de Longyearbyen, où nous allons pouvoir faire une première session.
Je sors sur le pont et regarde autour de moi. L’air est glacial sur la seule partie découverte de mon visage, mais mes yeux sont émerveillés par le paysage. Le soleil est de la partie pour cette première journée. J’ai vraiment du mal à croire qu’il ne se couche jamais en cette période de l’année. Après trois ou quatre heures de navigation, nous arrivons enfin sur le premier spot. Le vent souffle doucement, la zone a l’air dégagée, tous les feux sont au vert.
"Un autre détail important à mentionner est qu’au Svalbard, il y a 2000 habitants pour 3000 ours blancs...."
...Nous avons donc de fortes chances d’en croiser. Evidemment, notre objectif est d’en voir en étant sur le bateau, et non à terre en train de gonfler nos kites. Les groupes de skieurs qui viennent ici sont toujours accompagnés d’un guide armé pour pouvoir les protéger en cas d’attaque. Nous, nos seuls outils de défense sont un pistolet de détresse et des jumelles. Avant chaque débarquement sur une plage, nous devons donc bien scruter l’horizon pour nous assurer qu’aucune boule de poils blanche ne se balade dans le coin.
Première session
Je monte dans l’annexe avec Mallo, et Jean nous amène sur la plage. La zone d’arrivée est située légèrement en contrebas d’une petite colline, de sorte que nous n’arrivons pas à distinguer si quelque chose nous attend juste au-dessus. Dès que nous posons un pied à terre, nous nous regardons instantanément, la même envie ayant traversé notre esprit. Ni une, ni deux, nous courrons pour aller monter la pente, en criant et brandissant nos barres de kite, poussés par un élan d’inconscience.
"Aucune bête à poil blanc ne nous attend là-haut."
En revanche, des bois de rennes et l’immensité de la nature sont bien là. Une fois le pic d’adrénaline redescendu, nous nous mettons à l’eau. Elle est froide et le vent est léger, mais le soleil est plus qu’agréable.
Je tire de longs bords pour profiter du paysage. Je me sens comme une fourmi dans un monde d’humains. Les montagnes sont hautes et raides, et les plaines s’étendent à perte de vue. J’imagine aussi tous les animaux potentiels qui peuvent potentiellement être sous l’eau dans un coin aussi reculé du monde. Mais dès que ces pensées me traversent l’esprit, je tourne aussitôt pour me rapprocher du bateau.
79° North
10h de navigation nous attendent ensuite pour rejoindre le nord du Svalbard, au 79e parallèle nord exactement. Le premier diner est joyeux. Minh nous régale de ses plats, et surtout en grande quantité. Avec cette équipe d’affamés, il vaut mieux prévoir large.
Le réseau téléphonique nous a quitté pour de bon. Bizarrement, nous nous retrouvons d’un coup tous plus proches les uns des autres. Plus de téléphones qui vibrent à table pendant les repas, ou de « Attends, je regarde sur Google si c’est vrai ». Retour à l’essentiel, nous, le bateau, le trip.
Nous avançons petit à petit, mais le point GPS semble toujours autant éloigné de l’objectif. Nous finirons par mettre 15h au lieu de 10h. Un sentiment de soulagement nous envahi lorsque le capitaine nous annonce que nous y sommes enfin ! Sur la carte, nous pouvons voir le début de la banquise qui n’est qu’à quelques kilomètres. Le GPS affiche ce fameux 79e parallèle nord. Je ne réalise pas encore vraiment. Je sais juste que nous sommes très, très au nord du globe.
Les heures n’ont plus aucune valeur. J’ai rangé ma montre dans mon sac. Seuls les repas rythment nos journées.
Rencontre avec un ours
Sur le retour d’une courte session de freestyle, Gaby nous prévient à la VHF que l’ours de tout à l’heure se balade aux alentours. On s’en approche le plus possible tout en gardant une distance pour ne pas le gêner. Je suis congelé de la session, mais je n’y pense même pas. Nous sommes face à un ours blanc.
"Cet animal est tellement mythique."
Je repense à tous les livres que j’ai lu étant petit, mais aussi toutes les images et les reportages sur cet animal qui voit son environnement disparaître à cause de nous et de nos actions. Et puis il y a le moment présent où nous, humains, sommes face à lui.
Mon sentiment est mitigé. Dans un sens, je me sens coupable de voir cet ours, d’être ici. J’ai l’impression de contempler sans autorisation une œuvre d’art vivante que la nature a créé. En même temps, je vois cet être vivant qui nous regarde et qui a l’air tout sauf malheureux. Il faut tout faire pour que ces ours ne disparaissent pas. Notre génération et les générations futures se doivent de protéger ça plus que tout. Nos enfants doivent pouvoir parler des ours blancs au présent, et non au passé.
Iceberg en vue
Avec Mallo, nous avons repéré un iceberg à la dérive de l’autre côté du chenal. Tout comme notre petite aventure sur la plage lors de la première session, nous nous regardons et fonçons dessus pour le voir immédiatement.
En arrivant, nous découvrons un bout de glace d’une couleur bleu nuit et d’une taille bien supérieure à ce que nous pensions. Nous sommes tous les deux impressionnés, mais nous tentons quand même quelques figures autour. Jusqu’au moment où un bout se décroche, et tout l’iceberg se met à remonter. Mon cœur double de vitesse, et j’ai immédiatement l’image de nous coincés sous l’iceberg dans l’eau gelée.
Mizo m’impressionne. Pour un Brésilien qui navigue en short toute l’année, il a une résistance au froid assez exceptionnelle.
Quand nous arrivons sur le spot, le vent est plus qu’absent, mais le paysage est hypnotisant. Cet énorme amas de glace, taillé dans le temps. Nous nous équipons pour partir naviguer en foil autour des blocs de glace à la dérive, mais c’est dur de faire des choses sans vent. Nous finirons par nous amuser sur la glace, à sauter dans l’eau comme des enfants et surtout, comme si l’eau était bonne. Alors qu’en toute honnêteté, je pense qu’elle ne dépassait pas les 2°C.
Un coup de vent est prévu dans quelques jours. Gaby analyse toutes les options pour que nous soyons à la fois à l’abri et sur un spot ridable.
"Je fonce pour enfiler ma combinaison et mes chaussons,..."
..., comme je sens que Gaby ne veut pas rester ici longuement en raison de la glace et du mauvais temps.
Mizo me rejoint sur l’eau. Je n’ai même pas le temps de lui dire de faire attention aux blocs de glace immergés qu’il en tape un et s’explose devant moi. Au moins, je ne crains rien en kite twin tip. J’en sens un de temps en temps sous ma planche, mais ça ne me gêne guère.
Le vent est étrange, irrégulier en force mais aussi en direction. Il fait même parfois des pauses. Je sens qu’Olivier et Matt misent beaucoup sur cette session, alors je donne tout. Le glacier est dans mon dos. Je ne le vois pas vraiment, mais eux oui. Apparemment, c’est assez dingue.
Le Fjord dans la tempête
Tout le monde pourra faire une session : strapless pour Matt, wing pour Mizo et moi, et un peu de twin tip pour Mallo. La fatigue commence à se faire sentir. Le froid glacial et le manque de soleil sont usants, en plus du manque de contacts avec nos proches. Je sens que nous commençons tous à avoir envie de rentrer, et ce quotidien dans un espace si restreint est de plus en plus difficile.
Au petit déjeuner, nous passons en revue ce qu’il nous manque à filmer. Olivier veut vraiment plus de freestyle. Nous nous mettons à l’eau avec Mallo, lui en twin tip et moi en boots freestyle.
"Du bateau, le spot a l’air cool. Mais une fois sur l’eau, c’est probablement le pire vent dans lequel j’ai ridé."
Et je ne suis pas le seul à le dire. Les trous et les rafales sont tellement violents que je me retrouve à prendre d’énormes crashs sur des figures simples.
L’après-midi, le vent redouble de force. C’est impressionnant même du bateau, mais Matt et moi tentons d’y aller en Big Air. Le vent est comme nous le pensions : horrible sur tous les points. Nous donnons tout ce que nous pouvons, mais nous décidons rapidement d’arrêter face à la violence des conditions.
Dernier soleil de minuit
Le soleil est de la partie pour cette avant-dernière soirée. Olivier parle d’une baignade en short depuis le début du trip. C’est maintenant ou jamais : le vent est inexistant et il y a du soleil. Il se jette en premier à l’eau qui ne doit pas dépasser les 3°C. Nous avons seulement fait un petit plouf, tels les vrais guerriers que nous sommes !
Nous nous allongeons sur le pont après le repas. Le soleil brille de mille feux. Il est minuit, mais nous avons vraiment l’impression qu’il est midi. Nous discutons, refaisons le monde, et profitons de ces derniers moments au nord de notre chère planète.
Des rennes se baladent, et nous regardent pendant qu’ils broutent. Le temps semble figé. Personne n’a envie de se coucher.
Les fins de trip sont toujours remplies d’émotions, même si nous avons tous eu un peu envie de rentrer à un moment ou à un autre. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’avoir le cœur gros en pensant à notre retour dans nos pays respectifs.
"Une aventure humaine, ou une balade entre copains dans le cercle arctique, nous pouvons l’appeler comme nous voulons. Finalement, cela n’a pas vraiment d’importance. L’important, c’est de revenir."
Paul Serin